Chapitre 5 - Tentative de retour à la normale [PV Sreyn]

Klane refusa farouchement l’alternative du chirurgien, son visage se tordant d’effroi de l’entendre simplement proposer de prendre sa place. L’Arkhenneld eut un sourire mécanique et sans joie. Il se moquait bien que cela ne plaise pas au dresseur. Ils n’en étaient plus là et lui était fatigué de toutes ces conneries.

Sreyn réagit d’instinct, densifiant ses ténèbres à l’approche du coup pour bloquer celui-ci, sans paraître s’émouvoir du coup en traître de son meilleur ami. Bien sûr que cela le touchait. Mais il y avait eu l’enseignement de Kaern et l'entraînement de la VIème, il y avait la politique et les puissants qui aiment à lui rappeler où est sa place. Faire le choix d’un ami, c’est simplement choisir la main qui vous blessera. Parce qu’elle finira par le faire, d’une façon ou d’une autre. Irrémédiablement.

-          Non. Je te l’ai dit: tu rentres avec moi ou je prends ta place. Dans un cas comme dans l’autre j’avais besoin de t’abimer un petit peu. Mais je ne vais pas te mentir, l’une de ces alternatives à clairement ma préférence.. alors effectivement, rien ne dit que j’en ai tout à fait fini avec toi… Mais autant que j’en profite, je serais privé de mes pouvoirs après cela c’est bien ça ? Un joli bracelet.. Sreyn sourit Tu sais, j’ai toujours viscéralement détesté ces inhibiteurs

Alors Klane fit un pas vers lui, puisque le chirurgien ne reviendrait pas sur sa décision, quoi qu’elle lui en coute. Un pas et la promesse de sa reddition au prix de deux conditions. L’Arkhenneld en aurait éclaté de rire : l’assurance de vaincre leurs plus terribles ennemis et la liste de ses humiliations et concessions passées. Rien que cela…. Mais il y avait cette ombre tenace au fond des yeux bleus, cette peur viscérale qu’il n’avait encore jamais vu s’installer ainsi durablement chez le dresseur. La marque du traitre sur le visage d’Alshiv. La marque des primordiaux au fond des yeux de Klane. Alors, tout aussi sérieusement, comme deux gamins qui font un pacte de sang, Sreyn acquiesça.

-          Je ferais ce que tu veux Klane. J’ai toujours fait ce que vous vouliez.

Le revenant eut un reniflement. L’affirmation du chirurgien était ce qu’un mensonge pouvait avoir de plus vrai, de plus sincère. L’Arkhenneld leur avait effectivement tout donné, à l’exception de cette partie de lui qui ne lui appartenait pas lui-même et qui n’appartiendrait jamais à personne. Le démon majeur avait toujours tout fait pour eux, souvent en dépit d’eux même et au mépris de la raison. Il en avait toujours été ainsi : Sreyn avait la désobéissance docile et la loyauté récalcitrante.

Aussi il lui dit oui à tout, pour la corne, le coup.. Ce plan un peu fou qu’il avait tout juste esquissé et que le dresseur complétait naturellement comme s’il avait été le sien.

Le Feylath entra sous la coupole avec fracas et gravats, la poussière masquant un instant la scène, salissant ce qui ne l’était pas déjà. Mais la pièce ne s’anima réellement qu’avec l’arrivée du dernier protagoniste. Klane n’eut même pas à mentir.

Sreyn avait eu du mal à le lâcher mais le Grand Veneur réclamait toute son attention tandis que certains des mots qu’il prononça, railleur, ne manquèrent pas d’agacer le chirurgien. Il allait lui donner une autre définition de ce que l’on pouvait faire lorsque l’on était effectivement « prêt à tout » pour l’autre. L’Arkhenneld ne se souvenait pas avoir déjà vu Shaytan se battre mais les deux faucilles indiquaient un combattant qui misait sur la vitesse et la coordination de ses attaques, les deux armes pouvant tour à tour bloquer, parer et occasionner d’importants dégâts. Pour peu qu’elles soient en mesure d’atteindre leur cible du moins. Une occasion que le chirurgien ne comptait pas lui offrir. Le corps à corps quand ce n’était pas son ultime défense, n’était réservé qu’à quelques privilégiés.

Rapidement, les mains de ténèbres vinrent répondre aux filaments du démon. Le Grand Veneur voulait jouer de sa proie, cherchant à estimer sa réactivité, son allonge, de quelques coups d’esquives et d’estoc mais Sreyn ne leur accorda pas l’ombre d’un regard. Cette fois encore, il se jeta dans l’affrontement comme on tomberait d’une falaise : tout entier. Lui ne jouait pas, lui ne jouait plus. Il venait récupérer Klane. Il venait réclamer un siècle passé à essayer de s’en remettre, des décennies à faire semblant, des décisions prises en dépit de soi, en dépit de tout, des concessions qu’il a fallu faire et des dettes qu’il a fallu contracter. Toutes.. sortes… de dettes…

Le veneur avait eu un ricanement bref d’excitation, prédateur sur la piste sanglante de sa cible blessée. Pauvre fou…l’odeur du sang qui lui emplissait les narines et l’enivrait jusqu’à plus soif était issu de ses entrailles. Le combat ne fut pas beau à voir, le chirurgien n’avait rien à perdre et tout à arracher. Shaytan faisait un réceptacle parfait à ce qu’il avait accumulé de plus abjecte et de plus sale et qui parfois, rendait ses sourires grinçant et son regard un peu dément, ses anecdotes plus sombres et son rire plus faux.

Sreyn se défendait à peine, indifférent aux coups qui l’atteignaient –et il y en avait-. Une feinte, dans une feinte, dans une feinte… Le veneur était un adversaire redoutable. Une série de mouvements d’une danse mortelle le jetèrent à genoux, les lames lacérant sauvagement la hanche, passant très proche du tendon d’Achille, remontant l’intérieur de la cuisse du chirurgien dont les deux mains au sol achevèrent de travailler la terre en un étau de glaise. La respiration courte, les ténèbres du chirurgien vinrent naturellement orchestrer les premiers soins pour lui permettre de se relever en soutenant son poids, et s’approcher du Grand veneur dont les épaules broyées laissaient pendouiller deux bras qui n’avaient pas tout à fait relâché ses faucilles que ses filaments de ténèbres contre-attaquaient. Sreyn eut un rictus mauvais.

La coupole trembla un instant sous un assaut plus puissant que les autres mais tint bon. L’extérieur n’avait plus de prise sur eux. Et lui avait un corps à transformer.. Il monta la glaise dans un simulacre de bloc opératoire, le corps du veneur à demi directement intégrer dans un bloc de glaise qui constituait la table d’opération. L’Arkhenneld y mit une application toute particulière. De ses ténèbres, il pénétra les chairs du veneur inconscient, tordant les ténèbres de celui-ci comme autant d’outils lui permettant de redessiner l’organisme de Klane de l’intérieur comme de l’extérieur, poussant la minutie bien plus loin que ne l’aurait exigé l’exercice. Plusieurs fois, Shaytan reprit conscience et à chaque fois le chirurgien de guerre arrachait un peu de ses ténèbres en lui murmurant de rester sage, avant de l’assommer.


-        Ils me ramèneront. Vous ne pouvez rien contre une armée qui ne peut pas mourir. Shaytan semblait résigné et un peu effrayé aussi.

-          C’est ça. A plus tard alors retorqua le brun en lui portant le dernier coup. Mais la remarque faisait son chemin dans l’esprit du chirurgien. Comment les primordiaux ramenaient ils les démons à la vie ? combien de fois pouvaient-ils le faire sur un même individu ? choisissaient ils les démons qu’ils voulaient asservir et sur quels critères et surtout..depuis quand orchestraient ils ainsi dans l’ombre à créer cette armée ?! Klane saurait il seulement répondre à l’une de ces questions ?


Il finit par se relever en titubant un peu pour se diriger vers le modèle original qui allait devoir lui offrir l’une de ses cornes en échange d’un sourire étrange et d’une main souillée de terre et de sang.

-           Je l’ai assommé..à la fin. Et j’ai fait ça aussi proprement que possible. Vient admirer ton cadavre Klane, moi je commence à le connaître.

L’Arkhenneld fronça soudainement les sourcils en remarquant les traces de morsures du Feylath mais Klane chassa la main de ténèbres autant que Sreyn repoussa la main du dresseur qui s’avança vers l’estafilade de sa hanche. D’un commun accord, les deux démons se promirent de remettre cela à plus tard. Il fallut encore débarrasser le Strashen de son bracelet inhibiteur et ce, sans abîmer le mécanisme afin de pouvoir le repasser au bras du veneur sans la moindre trace d’effraction.

Ils échangèrent un regard. Sreyn modela ses ténèbres en un disque qu’il affinait et réduisait de plus en plus au fur et à mesure qu’il le faisait tourner sur lui-même, de plus en plus vite. La tête du dresseur arracha un sourire narquois au chirurgien qui se tourna vers le Feylath pour l’écorner.

-          Chut. C’est pour ta prothèse, maintenant ne bouge plus. Je vais t’immobiliser et anesthésier physiquement la zone. Je couperais à 3-4cm, ça ne saignera pas trop. Sh. Laisse-moi faire, tu te vengeras plus tard. Tu dors toujours sur le côté gauche quand tu peux ?

Les doigts du dresseur massacrèrent la main de chair que Sreyn lui avait laissée. «..Chochotte » « ça représente beaucoup pour moi ! » « je sais.. » répondit le chirurgien avec douceur.

-          Tu vas devoir encaisser la douleur un moment, je vais devoir me retirer en partie pour m’occuper de la greffer sur Shaytan. Klane acquiesça.
Durant toute la durée de l’opération, le dresseur garda les lèvres pincées et un regard mauvais fixé sur le veneur. Bien moins que la douleur, Sreyn se doutait qu’il devait détester voir sa corne sur ce berger des primordiaux.

-          Déshabille-toi. Klane releva un regard interrogatif, tout à sa haine de l’autre. Le chirurgien eut un vague geste de la main allant de l’ex-veneur au dresseur avant de se redresser péniblement, ses ténèbres le soutenant toujours là où Shaytan l’avait blessé.

L’Arkhenneld fini par détourner les yeux du corps parcouru de trop nombreuses blessures. Il dû se faire violence pour garder les lèvres closes et ses ténèbres à leur place. Cette soirée n’avait que trop durée.

-          Ton fils va me tuer. Rey aussi. Il faut qu’on arrive à attraper un griffon ou n’importe quoi de pas trop sauvage et on rentre.

Sreyn entrouvrit la coupole de terre sur un spectacle qui le ramena plusieurs siècles en arrière. Les guerres ne tarderaient pas à reprendre mais l’adversaire cette fois ci, était autrement plus redoutable. Il fut incapable de ne pas regarder autour de lui, essayant de deviner l’identité des silhouettes qui couraient, fuyaient ou se battaient dans une cacophonie terribles, les morts se mêlant aux vivants. Les démons avaient-ils seulement comprit que ceux qui leur faisaient face étaient de nouveau…vivants ? Combien allaient tuer un souvenir ? Combien iraient gonfler les rangs des primordiaux ? Klane semblait refuser de regarder en arrière maintenant que la décision était prise et poussait Sreyn à avancer, chacun refusant de trop s’éloigner de l’autre. Et ils n’avaient pas le temps pour le reste.
-          Attends je crois que la légion est l..

Une main lui agrippa soudainement la manche « Seigneur Arkhenneld !! ».

Le chirurgien sursauta violemment, retenant au dernier moment un coup qui aurait pu s’avérer mortel. Daermon, le visage baigné de larmes, expliqua qu’il avait caché la voiture que le seigneur Strashen lui avait demandée de lui apporter pour le ramener au manoir. L’explication était coupée de récits effrayés de la folie des démons et de tout ce qui l’avait contraint à se cacher pour attendre. Le démon mineur avait la bouche pleine de questions qu’il contenait difficilement mais il se figea en posant les yeux sur Klane.

-          Seigneur Strash.. ?! Mais, vous étiez ? vous m’avez ? Vous.. vous n’êtes pas.. qui êtes.. je..

Sreyn réceptionna Daermon avant qu’il ne touche le sol.

-          Bravo. Pas bien solide celui-là.. Comment on va la trouver cette foutue carriole maintenant ?

-          Tout ce qui est Arkhenneld porte un glyphe, ça ne me posera pas de problème. Et arrête de terroriser mes suivants.

Allait rapidement se poser la question de l’identité de Klane et de la raison de son retour. Satan allait devoir être mis au courant et cette pensée glaça le chirurgien qui doutait d’être capable de laisser son suzerain lui arracher une nouvelle fois le dresseur.

Sreyn aida le domestique à revenir à lui, coupant court à ses questions pour le moment. Sur le chemin du retour et dans l’intimité relative de l’habitacle, le chirurgien insista pour soigner les plaies du revenant avant de s’occuper sommairement de lui. Sreyn finit par se laisser aller contre le siège , ils arrivaient bientôt au Manoir Arkhenneld.

-  Qu’est-ce que je vais encore pouvoir dire à Alshiv…Pardon ? Désolé ? Oups ? soupira Sreyn en passant une main sur son visage fatigué ce bordel...

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